Voyez Comme on Danse by Jean d’Ormesson

Voyez Comme on Danse by Jean d’Ormesson

Auteur:Jean d’Ormesson [Jean d’Ormesson]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Robert laffont
Publié: 2001-09-16T22:00:00+00:00


La terre ne le recouvrait pas encore, mais elle l’enserrait déjà de partout. Le monde qu’il avait tant aimé, s’il avait pu le voir d’où il était couché, lui serait apparu sous la forme d’un rectangle de ciel gris. Nous le pleurions comme s’il avait été immortel. Et puis nous pensions, très vite, que chacun d’entre nous, un peu plus tôt, un peu plus tard, descendrait aussi, à son tour, sous la terre.

Ce jour-là, au cimetière, pour beaucoup de raisons, je n’aurais pas détesté être à la place de Romain. J’étais un peu comme Béchir : j’aurais accepté sans trop de peine d’échanger mon sort contre le sien. Il aimait la vie plus que moi, j’étais plus curieux que lui de ce qu’il pouvait bien y avoir au-delà de la mort. Ouvrez-vous, portes de la nuit ! Ah ! Elles s’ouvrent : et derrière, il n’y a rien. Oui, peut-être… Peut-être avait-il raison. Peut-être n’y avait-il rien, malgré mes espérances, au-delà de ce corps qui emportait dans le néant une âme qui ne vivait que par lui. Le pire est toujours possible. Usé par le temps, travaillé par un doute qui ne l’effleurait jamais, j’étais prêt à tout au poker de la vie – et à payer pour voir. Lui, sûrement pas. Il s’en fichait.

Il y avait beaucoup de choses dont Romain s’occupait assez peu : la mort, la religion, l’argent, la politique, les journaux, le passé et l’avenir. Il menait une vie installée dans le présent, assez indifférente aux grands problèmes et aux débats dont on nous rebattait les oreilles et, en fin de compte, très physique. La clé de l’affaire était peut-être d’une simplicité consternante : il avait une bonne santé. Pas d’asthme ni de rhume des foins à la façon de Proust. Pas de vertiges dans le style Pascal ou Kafka. Il n’était pas épileptique comme Flaubert ou Dostoïevski, il n’avait pas de pied bot comme Byron. Aucune de ces misères qui apparaissent souvent dans des aveux d’artistes et d’écrivains. Et j’ai bien peur que ses érections n’aient été plus complètes que celles d’un Aragon.

— Franchement, me disait-il quand je l’entreprenais, je n’ai aucune raison d’écrire.

Quand je m’étais lié avec lui, je l’avais naturellement interrogé sur les chemins qu’il avait empruntés. Ils étaient assez simples. Par la force des choses, il n’avait fait aucune étude. Il s’était arrêté en première au lycée Thiers de Marseille et, à l’âge où il aurait dû passer ce qu’on appelait alors le bachot, il farfouillait dans les avions de l’Angleterre en flammes. À son retour de la guerre, pendant deux ou trois ans, il avait lu beaucoup plus qu’il ne voulait bien l’avouer. Non pas, selon la formule, tout ce qui lui tombait sous la main, mais tout ce qu’il fallait lire. Que faut-il lire ? Mais ce qu’on a envie de lire. Par une chance merveilleuse, Romain n’avait jamais eu envie de lire que de bons livres. Je ne l’ai jamais vu lire un de ces romans à la mode



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